En cas de démembrement de la propriété, c’est à l’usufruitier seul de payer l’indemnité d’éviction du locataire commercial

La propriété d’un local commercial loué est parfois démembrée entre un usufruitier et un ou des nu-propriétaire(s), ce qui est de nature à compliquer la gestion locative.


Par son arrêt illustratif du 19 décembre 2019, la cour de cassation précise les modalités d’application du régime des baux commerciaux, en matière de démembrement de la propriété d’un local commercial (cour de cassation, 3e ch civ, 19 décembre 2019, pourvoi n°18-26162).


Le nu-propriétaire se plaignait d’avoir été condamné solidairement avec l’usufruitier à payer l’indemnité d’éviction du preneur, suite au refus de renouvellement du bail qu’ils lui avaient délivré : b

ail commercial
« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 octobre 2018), que, le 5 mars 2004, Mme X... veuve V..., usufruitière, et Mme D..., nue-propriétaire, d'un immeuble à usage commercial, ont délivré à M. et Mme T..., preneurs, un refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction, lequel, par arrêt du 20 février 2008, a été déclaré sans motif grave et légitime ;
Attendu que, pour condamner in solidum Mmes X... veuve V... et D... à payer l'indemnité d'éviction due aux preneurs, l'arrêt retient que Mme V... et Mme D..., laquelle a la qualité de bailleur, ayant, ensemble, fait délivrer un refus de renouvellement, sont toutes les deux redevables de l'indemnité d'éviction dès lors que l'acte de refus de renouvellement excède les pouvoirs du seul usufruitier ; »


Tout d’abord, la cour de cassation rappelle que « l’usufruitier, qui a la jouissance du bien », ne peut consentir un bail ou le renouveler sans le concours du nu-propriétaire.


Mais encore, la cour de cassation constate que c’est l’usufruitier seul qui a le pouvoir de mettre fin au bail, et de délivrer un congé avec refus de renouvellement.


La cour de cassation en tire toutes les conséquences, en affirmant que c’est donc à l’usufruitier seul d’en « assumer toutes les obligations à l’égard du preneur », et donc de lui payer l’indemnité d’éviction :

► Ayant seul la qualité de bailleur, l'usufruitier doit payer seul l'indemnité d'éviction due au locataire pour compenser le défaut de renouvellement du bail


« Attendu qu'en cas de démembrement de propriété, l'usufruitier, qui a la jouissance du bien, ne peut, en application de l'article 595, dernier alinéa, du code civil, consentir un bail commercial ou le renouveler sans le concours du nu-propriétaire (3e Civ., 24 mars 1999, pourvoi n° 97-16.856, Bull. 1999, III, n° 78) ou, à défaut d'accord de ce dernier, qu'avec une autorisation judiciaire, en raison du droit au renouvellement du bail dont bénéficie le preneur même après l'extinction de l'usufruit ;
Qu'en revanche, l'usufruitier a le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par suite, de notifier au preneur, sans le concours du nu-propriétaire, un congé avec refus de renouvellement (3e Civ., 29 janvier 1974, pourvoi n° 72-13.968, Bull. 1974, III, n° 48) ;
Qu'ayant, seul, la qualité de bailleur dont il assume toutes les obligations à l'égard du preneur, l'indemnité d'éviction due en application de l'article L. 145-14 du code de commerce, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au preneur par le défaut de renouvellement du bail, est à sa charge ;
Qu'en condamnant la nue-propriétaire, in solidum avec l'usufruitière, alors que l'indemnité d'éviction n'était due que par celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »


Cette solution incite l’usufruitier à être vigilant, et à prendre conscience que, s’il veut délivrer congé au locataire sans offre de renouvellement, il devra assumer seul la charge de l’indemnité d’éviction due au locataire.